Cours du blé à plus de 200 €/t Les marchés déstabilisés par une Russie décrédibilisée
Le gouvernement russe n’a pas mesuré les conséquences économiques des nouvelles mesures qu’il impose visant à restreindre les exportations de blé. Les producteurs sont les victimes collatérales d’une crise économique et politique dont ils étaient jusqu’à présent épargnés.
Vous devez vous inscrire pour consulter librement tous les articles.
Pour gagner la confiance des consommateurs russes, le Kremlin a perdu celle des marchés. Pour un temps ! En renforçant cette semaine les mesures restrictives pour réduire les exportations de blé, le gouvernement russe a imposé de fait un embargo déguisé, même s'il n’est en rien officiel. En plus des mesures sanitaires déjà prises, bloquant ainsi les chargements de blé dans les bateaux à quai, le cheminement de ce dernier par le train est dorénavant rendu impossible. « Quatre à six millions de tonnes de céréales ne trouveront ainsi plus de débouché ! Elles resteront dans les silos et constitueront des stocks de report supplémentaires pour la prochaine campagne », explique Paul Gaffet, analyste marchés pour Offre et Demande Agricole.
« Pourtant la campagne d’exportation avait bien commencé. La Russie a vendu 14 à 15 millions de tonnes depuis juillet, ce qui constitue un volume de transactions record », indique encore Paul Gaffet.
Des producteurs russes victimes collatérales
Mais la situation politique et économique a brutalement changé. La baisse de 50 % du rouble ayant anticipé celle des exportations d’hydrocarbures très bon marché, a déjà plongé la Russie dans une crise dont elle n’a pas fini de mesurer les conséquences, sans communes mesures avec les rétorsions prises ces derniers temps par les pays occidentaux depuis le conflit russo-ukrainien.
L’inflation a gagné le pays et pour en limiter son ampleur sur les produits alimentaires de première nécessité, la Fédération de Russie a décidé d’engorger artificiellement son marché intérieur de céréales en les rendant inexportables. Quitte à ruiner ses producteurs !
Mais en protégeant son marché, le Kremlin a déstabilisé les marchés mondiaux. Floués, les exportateurs dans l’impossibilité d’honorer leurs contrats, prennent des positions sur le marché à terme pour se protéger de la hausse des cours. Et ils vont se fournir sur le marché physique devenu plus cher, pour livrer quoi qu’il advienne, la marchandise commandée. « Des centaines de milliers d’euros sont perdus avec l’impossibilité de faire valoir la clause de force majeure auprès de l’importateur puisque aucun embargo n’a réellement été décrété comme en 2010 », explique Paul Gaffet, analyste Marchés pour Offre et demande agricole (Oda).
Des marchés pas rancuniers
« Seuls quatre pays sont épargnés toutefois par les mesures unilatérales imposées par la Russie : l’Inde et l’Arménie pour des raisons politiques et la Turquie et l’Egypte, les deux premiers clients de blé russe, pour des raisons économiques », précise-t-il.
Mais, le gouvernement russe pourrait avoir sous-estimé la réaction des producteurs de blé. Pour certains d’entre-eux, la rétention de leurs stocks de blé est le meilleur rempart pour ne pas être victimes de la dévaluation du rouble, faute de pouvoir se couvrir sur le marché monétaire. Et avec des intrants importés en dollars plus chers, ils devront réduire leur consommation l’an prochain, ce qui réduira d’autant le potentiel de production l’an prochain.
Les marchés ne sont pas rancuniers ! Même si la Russie a perdu beaucoup de crédibilité, elle restera un acteur incontournable. Personne ne peut présager de quoi sera fait l’avenir. La demande mondiale de blé croissant inexorablement, la planète n’est pas à l’abri d’un accident climatique ou d’autres conflits !
Pour accéder à l'ensembles nos offres :